Episode 4 – Comment tracer le chemin pour rendre le changement plus facile
La série prend fin avec cet épisode. Pour revenir au premier épisode c’est ici
Jusqu’à quel point pensez-vous être maître de vos choix et de vos comportements ?
Les neurosciences et la psychologie sociale (je pense aux travaux de Daniel Kahneman, Dan Ariely, Robert-Vincent Joule…) accumulent les preuves : non seulement notre rationalité est limitée, mais notre irrationalité est prévisible. Grâce à leurs bases de données les GAFA peuvent prévoir à l’avance des choix que nous pensions personnels : notre part de libre-arbitre est plus réduite que nous ne voulons l’admettre.
Dans les épisodes précédents, nous avons abordé la contradiction entre le Conducteur (notre part rationnelle) et l’Éléphant (nos émotions et automatismes). Accompagner le changement demande de s’adresser tant à l’un qu’à l’autre (cf. épisodes précédents).
Il reste un troisième paramètre : l’environnement. Notre prévisibilité est en partie une bonne nouvelle : elle est la conséquence de notre capacité à nous adapter. Nous le faisons en permanence et sans y penser… ce qui fait des conditions qui nous entourent un levier de changement extrêmement puissant.
Par conséquent, lorsque vos contemporains rechignent à changer leur comportement, ne vous fâchez pas ! Ce qui passe pour un problème de personne est souvent une question de situation. N’essayez pas de les changer eux. Cherchez plutôt ce qui, dans l’environnement, encourage ou empêche le changement.
1. Adaptez l’environnement
Puisque nos choix et comportements relèvent souvent d’une simple réponse à notre environnement, il est possible de jouer sur ce paramètre (pour le meilleur et pour le pire). Le principe : rendre plus faciles les comportements désirés et plus difficiles ceux qu’il s’agit de freiner.
Repensez à cette fichue attestation qu’il nous faut remplir avant de faire nos courses. Cette contrainte rébarbative joue exactement ce rôle : elle décourage les sorties.
Un autre exemple, plus positif. Le conseil des diététiciens pour cette période de confinement entraînant une faible dépense calorique est le suivant : utiliser des assiettes plus petites. Remarquez bien : ils ne parlent pas de réduire nos portions (une telle recommandation serait peu suivie) mais de changer un élément de notre environnement qui lui-même provoquera une adaptation de notre comportement alimentaire.
2. Créez des habitudes
Le défaut des habitudes est de nous enfermer dans une routine. Cependant, elles sont nécessaires à notre bien-être. Sans elles, la charge mentale serait très forte : il nous faudrait réfléchir à chacune de nos actions, même les plus élémentaires. C’est pourquoi, face à la remise en cause de nos habitudes, notre Éléphant résiste. Vous ne vous êtes pas sentis un peu bêtes, en adressant des signes maladroits qui tentaient de meubler l’absence d’une poignée de main ?
Changer ne se limite pas à supprimer des habitudes. Si nous en restons là, la tentation de retrouver nos automatismes rassurants sera forte (et désagréable). Pour ancrer le changement, il faut mettre en place de nouvelles habitudes.
Ainsi, de nombreuses personnes dont le travail se poursuit à l’extérieur de chez eux ont adopté un protocole précis (copié sur celui des soignants) lorsqu’ils rentrent à la maison : laisser leurs chaussures à l’extérieur, se déshabiller dans le garage ou à défaut, dans l’entrée, et mettre immédiatement leurs vêtements au linge sale, prendre une douche en savonnant généreusement, puis désinfecter la poignée de porte.
Pour d’autres, qui restent confinés, le défi est d’adopter une nouvelle routine : plages consacrées au travail, horaires de classe à la maison pour les enfants (à mettre dans son agenda pour ne pas être dérangé), siffler la fin de journée et se déconnecter pour retrouver un espace à soi dans un appartement ou se mélange bureau, école et vie personnelle…
De manière générale, tout ce qui nous met en mode « pilote automatique » et nous évite de trop réfléchir facilite l’adoption d’un nouveau comportement dans la durée.
3. Rassemblez le troupeau
L’être humain est un animal social. Notre entourage et ses normes sociales sont partie intégrante de l’environnement à partir duquel nous adaptons nos comportements.
Pendant cette période de confinement, on voit exploser les communications à distances, et pas seulement les visioconférences professionnelles. Les apéro-skype et les groupes WhatsApp où circulent des blagues potaches sont particulièrement révélateurs de notre pulsion à maintenir la proximité et le lien social. Avec les outils dont nous disposons, cela se fait tout seul. Ainsi, pour les équipes à distance, l’enjeu n’est pas tant « comment garder le lien » mais « comment l’organiser ».
Plus généralement, personne n’aime se sentir isolé. Pendant les années 50, l’expérience de Asch (vous trouverez facilement de nombreuses vidéos sur le sujet) a montré le malaise qui s’installe chez les participants lorsqu’ils tiennent une position différente de celle du groupe. Certaines personnes allaient jusqu’à remettre en question leur propre jugement (sur une question pourtant évidente) pour ne pas se sentir exclus.
Dans une situation de changement, comme nous l’avons vu dans l’épisode 3, il est nécessaire de connecter les gens en ancrant de nouvelles habitudes. Si ceux qui les appliquent ont l’impression d’être marginaux ou isolés, ils se décourageront très vite. A l’inverse, lorsque ces habitudes forment une nouvelle norme sociale, elles se répandent… de manière épidémique.
Où cela va-t-il nous mener ?
Dans cette série d’articles, nous avons vu des clefs pour accompagner le changement, selon trois principes : donner une direction au Conducteur, motiver l’Éléphant et tracer le chemin.
La crise du COVID-19 en elle-même montre comment un nouveau contexte entraîne une population à changer drastiquement ses habitudes. Lorsqu’elle sera terminée, allons-nous revenir « à la normale » et tout reprendre comme avant ? C’est ce que suggère notre propension à nous adapter sans trop réfléchir.
Ou alors, cette expérience se révèlera-t-elle marquante, au point de nous donner l’envie et l’énergie de questionner notre rapport au travail, au temps, à notre planète… ? En somme, de remettre en cause des automatismes acquis au cours des dernières décennies.
La question n’est pas tant de prévoir comment les choses vont repartir à la fin du confinement, mais de se demander : comment voulons-nous qu’elles repartent ?