Raison et sentiments : quelle vraie part de morale ?

Le Club Ethik continue ses investigations sur les pas des frères Heath, auteurs du « Mythe du garage et autre petites surprises » et vous propose un plaidoyer pour les sentiments, pressentiments et autres intuitions…ou pourquoi nous avons finalement plus de morale par le cœur et les tripes que dans notre cerveau !
S’il vous est déjà arrivé de participer à une discussion sur la morale, sur votre lieu de travail ou ailleurs, vous n’avez sans doute pas beaucoup parlé de vos sentiments. Nous avons effectivement tendance à associer règles, morale et raison.
Nous pensons que seule notre raison peut juguler les caprices et les folies de l’émotion.
Et si la raison, loin d’empêcher les actes immoraux, les favorisait ?
C’est ce que conclut une étude de Chen-Bo Zhong, chercheur de l’université de Toronto. Pour approfondir le sujet, il a réalisé une série d’expériences dont les résultats sont tous concordants. En effet, il a confronté des participants à des partenaires anonymes vis-à-vis desquels ils avaient deux possibilités – être francs avec eux ou leur mentir-, sachant qu’il leur était plus profitable de mentir.
Certains ont été incités par les chercheurs à envisager la situation de façon rationnelle et à faire abstraction de leurs émotions. Une forte majorité d’entre eux (69 %), après avoir analysé la situation en question, a conclu qu’ils devaient tricher aux dépens de leurs partenaires.
D’autres ont été incités à « prendre leurs décisions de façon instinctive ». Parmi ces derniers, seuls 27 % ont opté pour le mensonge.
Ainsi, ceux qui agissent en fonction de leur intuition, de leur ressenti, font preuve de plus de morale et nous pouvons leur faire confiance ! Et pourtant, face à eux, nous réagissons de manière contraire : nous nous méfions !
En effet, selon cette étude, 75% d’entre nous feront confiance à l’individu qui semble le plus rationnel lors d’une prise de décision.
Ainsi, selon Zhong, un processus mûrement réfléchi peut amener à un comportement douteux, dès lors qu’un gain est en jeu et que l’on a réduit l’influence émotionnelle.
Ces comportements ne se limitent malheureusement pas au laboratoire. Il semblerait même qu’ils aient joué un rôle majeur dans la montée de la crise des subprimes.
On a ainsi constaté que de nombreux petits épargnants avaient été incités par leur propre conseiller financier à mentir sur leurs revenus pour se garantir l’obtention de leur prêt. On leur avait expliqué que les informations n’étaient jamais vérifiées et qu’ils ne prenaient pas de risques en déclarant un salaire 10 fois supérieur à ce qu’ils gagnaient en réalité. Quand il s’agit de faire fortune, on n’a pas de difficulté à soulager sa conscience, et l’esprit a vite fait de trouver une justification.
Les banquiers s’appuyaient sur des statistiques et des modèles d’analyse très sérieux qui « prouvaient » que, même si les taux de défaillance étaient élevés, leurs investissements ne craignaient rien ! Un conseiller, Mike Francis, avait cependant eu un pressentiment et avait alerté sa direction sur le risque de ces clients insolvables. On lui avait rétorqué que ça n’était basé sur aucun chiffre !!
Si écouter les intuitions, que n’ont pas manqué d’avoir un grand nombre de conseillers, aurait peut-être minimisé la crise des subprimes, on peut cependant concéder qu’elles ne sont pas un outil infaillible. Un ressenti peut aussi nous détourner de la bonne voie, quand il faut se montrer impartial et qu’il nous pousse à trop d’empathie.
Au final, rien de mieux que de savoir faire la part des choses !
Mais dans le monde de l’entreprise, la balance penche un peu trop souvent en faveur de la rationalité pure.
Il faut donc savoir garder notre contrepoids émotionnel : En présence d’un enjeu moral important, écoutez votre intuition !
A bientôt.